DES ORIGINES A LA REVOLUTION
On ne possède aucun document précis relatif à la fondation de la Maîtrise. Cette institution multiséculaire fait une apparition discrète dans l’histoire de la Cathédrale, au XlVe siècle : « Son histoire positive – écrit l’abbé Collette – ne commence, en somme, qu’avec les Registres des délibérations du Chapitre, qui nous apprennent qu’elle se composait en 1377 de quatre enfants d’autel (pueri altaris) dirigés par un maître appelé Médard (Registres Capitulaires, 13 novembre 1377). »
Mais d’autres documents permettent de penser que dès la fin du IVe siècle des enfants participaient aux célébrations liturgiques. Saint Victrice, évêque de Rouen et contemporain de Saint Martin de Tours, n’évoque-t-il pas la « joie sonore des enfants innocents qui se manifeste dans la Cathédrale ». Un autre évêque, Jean d’Avranches mentionne, dans l’un de ses ouvrages la présence d’enfants prenant part au chant des offices.
Si on en croit les actes de Saint Evode, lui aussi évêque de Rouen au Vie siècle, tels que nous les rapportent l’abbé Collette, « ses parents le confièrent tout jeune à l’église de Rouen pour l’instruire, l’élever et le former au service de Dieu ». Et comme ils ajoutent qu’il se distingua bientôt de ses condisciples non seulement par ses vertus mais par son chant, on peut en conclure que ces enfants, attachés à la Cathédrale, étaient chargés à Rouen comme ailleurs, d’exécuter certaines parties de l’office divin.
Enfin, au Xlle siècle, nous voyons qu’un « office de pasteurs », (messe du jour de Noël) confie l’intonation du Gloria à des enfants postés dans les galeries supérieures de la Cathédrale.
LA VIE DU MAITRISIEN AU MOYEN ÂGE
Les registres canoniaux nous renseignent assez bien sur la vie quasi-monastique de ces jeunes garçons, à une époque où le culte divin était célébré presque sans discontinuité, du matin au soir, et du soir au matin.
Pour chanter au chœur, ils étaient vêtus d’une soutane violette en drap, d’une aube unie (blanche, comme son nom l’indique), ou bien d’un camail se terminant en pointe, comme ceux des chanoines de l’époque (un camail est un vêtement liturgique couvrant les épaules). L’hiver, on les habillait de longs manteaux noirs à queue.
Ils avaient de plus le crâne entièrement rasé, si bien que, pris de pitié, un bon chanoine du début du XVe siècle fit une fondation par devant tabellion pour leur payer à perpétuité de chauds bonnets d’hiver.
Les enfants (au nombre de quatre ou six, rappelons-le), se trouvaient intégrés dans les ordres mineurs. Devenus adolescents, ils passaient aux choristes adultes en attendant qu’une place de chapelain devînt vacante. Mais l’un ou l’autre pouvait être envoyé étudier à l’université de Paris, grâce à une bourse du Chapitre. Certains mêmes devinrent choristes pontificaux à Rome au XVe siècle.
De part leurs fonctions, ces clergeots passaient leur journée presque entièrement dans la Cathédrale. Ils ne pouvaient prendre que quelques courtes récréations dans la cour d’Albane, et dormaient en un logis tout proche.
Mais une existence d’enfant est aussi faite de moments joyeux, témoin, à l’époque de Noël, cette fête des Innocents dont nos jeunes clercs sont les principaux acteurs. haut de la page
La fête des Innocents
Dans le temps de Noël, l’Eglise célébrait aussi la grande fête des innocents, en mémoire des petits enfants massacrés par les sbires d’Hérode à l’occasion de la naissance du Christ. La célébration de cette fête était un événement important dans l’existence de nos jeunes garçons : au chœur de la Cathédrale, l’un d’eux prenait rang d’évêque pour la journée et donnait la bénédiction pontificale.
Un curieux privilège découlait de cette journée pour l’année à venir : celui de la confiscation des éperons. L’accès du chœur des églises a toujours été interdit aux hommes en armes ; le gentilhomme qui négligeait cette interdiction à la Cathédrale devait abandonner ses éperons au tout jeune évêque d’un jour, lequel les lui revendait ensuite… La chronique de 1391 rapporte qu’un soudard, nommé Vincent Roussel d’Harfleur, refusa de s’incliner devant ce privilège ; il brutalisa le jeune maîtrisien qui voulait lui enlever ses éperons, mais il fut contraint d’obtempérer le lendemain, et dut présenter des excuses publiques au Chapitre.
Si ce privilège de confiscation persista jusqu’au XVIIIe siècle, il n’y eut plus, en revanche, d’enfant-évêque au trône pontifical du chœur à partir de 1452 ; le Chapitre de Rouen supprima en effet la Fête des Innocents à cause des abus qu’elle engendra, et malgré la réclamation des maîtrisiens appuyée par le célèbre cardinal d’Estouville, archevêque de Rouen à cette époque.
LE XVIème SIECLE
Le XVIe siècle marque à Rouen une apogée aussi bien dans le domaine monumental que dans le domaine musical, apogée qui se prolongera au siècle suivant. Pendant 175 ans environ, la psallette vivra de grandes heures.
S’il n’eut pas l’envergure de son oncle, Georges 1er, ministre de Louis XII, le cardinal Georges II d’Amboise eût du moins le mérite de se montrer un protecteur averti de la Maîtrise, pendant son long pontificat (1510-1550). Le Chapitre de Rouen, de son côté, veillait à ce que les enfants fussent bien nourris et bien chauffés, ainsi que bien instruits en musique et en lettres. De plus, il rivalisait avec son archevêque en recherchant au loin, le cas échéant, maîtres renommés et compositeurs distingués, tels Mathurin Dubuisson ou Guillaume Leroy, ou encore François Dulot, dont certaines œuvres retiennent à nouveau l’attention des musicologues.
La musique polyphonique
Le XVIe siècle est aussi l’époque où la musique polyphonique prend son essor et où la participation des choristes augmente assez considérablement aux offices.
Désormais, ils interprètent « a capella » (c’est à dire sans accompagnement) psaumes en faux bourdon, puis messes, antiennes et motets à deux, trois, quatre ou cinq voix. Et les auteurs ne sont pas seulement locaux : on relève les noms de Roland de Lassus, Arcadelt, Morales, Josquin des Près, Eustache du Caurroy, etc… L’établissement des partitions nécessaires est financé en particulier par Georges II d’Amboise.
L’orgue est aussi largement utilisé pour préluder, donner le ton ou alterner avec les choristes, comme cela se fait encore les jours de grandes fêtes à la Cathédrale. Il s’agit alors d’un petit meuble facile à déplacer qui se trouve plus souvent posé sur le jubé, d’où le terme de « positif.
C’est d’ailleurs le temps d’un véritable engouement pour la musique chorale ; maint grand seigneur veut avoir sa Maîtrise personnelle à l’exemple de François 1er qui dépense des sommes considérables pour ses chanteurs. D’ailleurs, le maître de chapelle du Roi réquisitionne purement et simplement à diverses reprises plusieurs choristes de Rouen à la voix ravissante. Ceci se passait au début du règne de François 1er et le Chapitre protestait souvent, pour la forme semble-t-il, car il y voyait un moyen d’assurer un meilleur revenu aux enfants ainsi distingués.
Le Chapitre de Rouen ne fut pas toujours docile : témoin une affaire d’enlèvement de maîtrisiens. François 1er, de passage à Rouen, avait été émerveillé par la perfection des chants et la beauté des voix des enfants de la Cathédrale ; croyant faire leur cour au Roi, quelques uns de ses familiers, menés par le sire de Lautrec, prirent d’assaut leur maison et en enlevèrent deux qu’ils emmenèrent à Paris.
Le Chapitre intervint très énergiquement auprès du Roi, et de plus, engagea des poursuites judiciaires : Le Roi fit rendre les enfants et le sire de Lautrec dut adresser des excuses au Chapitre, qui ne suspendit point pour autant son action judiciaire. Nous sommes en Normandie !
Il faut que cette psallette ait rayonnée d’un grand éclat en ce XVIe siècle, puisque les grands de ce monde s’arrachaient littéralement les enfants qui y étaient attachés.
Mais arrivent les jours sombres des guerres de religion, et les épidémies et maintes autres calamités engendrées par ces luttes intestines. Trente années de luttes et de misère. Et il faudra attendre 1596 et l’entrée dans notre ville de Henri IV redevenu catholique pour que la Cathédrale recouvre la splendeur de ses offices d’antan.
LE XVIIème SIECLE : Jehan Titelouze
Ce jour de Noël 1596, le grand orgue, installé au fond de la Cathédrale, est tenu par un nommé Jehan Titelouze, qui en est le titulaire depuis 8 ans. D’autres instruments à vent se joignent à lui : cornets, buccines, serpents ; ainsi se trouvent introduits des instruments qui tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, seront joués soit par des enfants de la psallette, soit par des adolescents privés de leur voix d’enfant. Ces instruments sont destinés à soutenir et accompagner les chants et pièces interprétés habituellement par les clergeots.
En ce même temps, la misère est grande à Rouen ; nos jeunes clercs sont accusés de vagabondages et de rapines pour subsister. L’oncle du Roi, le cardinal Charles de Bourbon, archevêque de Rouen, « dégage des ressources » comme dirait notre administration actuelle, pour leur entretien, et il demande au Chapitre que la psallette passe de huit à douze enfants. Mais ce vœu ne sera réalisé effectivement que vers le milieu du XVIIIe siècle.
Le grand nom de la musique rouennaise d’église au XVIIe siècle est donc Jehan Titelouze, organiste de la Cathédrale pendant 45 ans.
Le Puy de Sainte-Cécile
La Confrérie des Organistes et Musiciens de Rouen chantait traditionnellement une messe en musique le 22 novembre, jour de la fête de sainte Cécile. On peut voir dans cette célébration l’origine du Puy de Sainte-Cécile qui est mentionné pour la première fois en 1565 dans les registres du Chapitre ; il s’agit d’un concours à l’issue duquel des prix de différentes valeurs sont décernés pour des motets latins ou des chansons françaises. Le juge du Puy est le maître de chapelle de la Cathédrale, qui retient les oeuvres lui paraissant dignes d’être publiquement interprétées. Celles-ci sont données en audition solennelle de clôture. Le Puy de sainte Cécile était alors presque aussi célèbre que le Puy des Palinods, qui faisait accourir à Rouen nombre de poètes français. L’un comme l’autre tombèrent en désuétude au XVIIIe siècle et ne survécurent pas à la révolution.
Le Plain-Chant : Inviolata
Le XVIIe siècle reste marqué par la contre réforme avec ses ouvrages d’art plastique comme le retable qui orne l’autel de la chapelle de la vierge mais aussi avec les compositions d’Henri du Mont. C’est aussi l’époque du plain-chant dont l’usage, en France durera jusqu’à l’extrême fin du 19ème siècle et même au delà jusqu’en 1920.
De ce plain-chant, subsiste, une courte pièce appelée « prose » ou « séquence », contemporaine de Médard et des quatre petits chanteurs du XlVe siècle. Elle motiva une cérémonie particulière à la Cathédrale de Rouen qui n’est pas sans lien spirituel avec la « Fête aux Normands », fête de la conception sans tache de la vierge. Il s’agit de l’Inviolata que le carillon de la Cathédrale égrène partiellement tous les quarts d’heure sous la forme grégorienne restituée.
Depuis 1363 et jusqu’à la dernière guerre, des enfants de la Maîtrise sont allés en procession le samedi chanter cette prose devant la statue de la Vierge et selon la chronique, l’affluence était telle pour l’entendre au XVIIe et XVIIIe siècles, que les carrosses ne pouvaient plus évoluer sur le parvis de la Cathédrale. Voici, sous sa forme ancienne, la prose que chantaient nos clergeots, soutenus autrefois par le son d’une viole de gambe, instrument que transportait et jouait l’un deux :
Inviolata, integra et casta es maria
Quae es effecta fulgida coeli porta.
0 mater aima Christi carissima
Suscipe laudum pia precamina
Quoe mine devota flagitant vox et corda
Nostra ut pura pectora sint et corpora
tu da per precata dulcisona
Nobis perpétua frui vita
0 benigna ! 0 benigna !
0 benigna quae sola inviolata permansisti
LE XVIIIème SIECLE
L’art de la musique profane connaît un grand développement au cour du « Siècle des Lumières » (Rameau, Gluck, les Italiens et bientôt Mozart) ; en revanche la musique religieuse en France semble en déclin. On peut citer comme exemple, le psaume latin adapté par Michel Corrette (sans doute un ancien enfant de la Cathédrale) sur la partition des « Quatre saisons de Vivaldi ».
La constatation de ce fait permet à l’abbé Collette de citer un nommé Gantez, qui écrivait – déjà ! – au XVIIe siècle : « La composition est aujourd’hui chose commune, et il n’y a si petit chantrillon qui ne fasse maintenant plus que compagnon ».
Parmi les « chantrillons » du XVIIIe siècle, cet historiographe rouennais inclut une demi-douzaine d’anciens maîtrisiens de l’époque, mais c’est pour y relever un témoignage de la prospérité de la Maîtrise et de la haute valeur de son enseignement musical, en ce siècle finissant.
Les comptes de dépenses du Chapitre de Rouen montrent d’ailleurs abondamment que les chanoines de cette époque ne lésinent pas sur l’entretien et l’instruction de leurs dix maîtrisiens, et des huit chapelains choristes qui les accompagnent.
Le règlement reste sévère quoique paternel : une bonne nourriture est de rigueur mais aucun animal domestique n’est toléré dans la Maîtrise ; les disciplines autres que musicales seront enseignées comme au collège des Jésuites. Le maître de chapelle est aussi Préfet des Etudes. Certains élèves poursuivent leurs études à l’Université de Paris. En 1790, le Chapitre de Rouen s’avise de réclamer le rétablissement d’une bourse instituée en 1430 par le cardinal-archevêque de Plaisance, ancien chanoine de la Cathédrale, pour permettre à un écolier de Rouen distingué par le Chapitre, d’étudier gratuitement pendant six années au collège Saint-Augustin de Pavie fondé par cet ancien chanoine. Cette bourse n’avait pas eu de titulaire depuis 1526. Un condisciple aîné de Boïeldieu, le jeune Goule, doté d’une voix ravissante et qui sortait de la Maîtrise, avait été désigné pour en être le nouveau bénéficiaire : la tourmente révolutionnaire l’empêcha de quitter Rouen.
Avec la Révolution, il nous faut tourner la page, et dire adieu à la psallette de l’ancien régime, disparue en 1791 non sans quelque panache, puisqu’elle était prospère, et célèbre par les musiciens qu’elle formait ; le plus réputé d’entre eux sera, au début du XIXe siècle, François-Adrien Boïeldieu, fils d’un modeste employé de l’archevêché et élève du populaire organiste de la Cathédrale de Rouen, Charles Broche.
Bernard Delaporte Jean-Luc Férron
Anciens élèves de la Maîtrise Saint-Evode
LA MAÎTRISE AU XIXème siècle (ou Post-révolutionnaire)
Par Christian GOUBAULT
Docteur en Musicologie – Professeur à l’Ecole Normale de Rouen
Critique Musical au quotidien « Paris-Normandie ».
Dissoute, ses professeurs dispersés, la Maîtrise de la Cathédrale faisait figure, jusqu’à la Révolution, de creuset de l’art religieux et de l’enseignement musical dans la capitale normande. A la réouverture des églises en 1802, le Chapitre métropolitain s’était préoccupé de rétablir les offices chantés. Le bas-chœur, composé de six chantres, deux serpentistes et de chantres honoraires, est reconstitué l’année suivante. Quelques enfants, réunis par l’abbé Dumontier, apprennent les « répons » et les « leçons ». Le 12 décembre 1805, le conseil de Fabrique nomme une commission chargée d’étudier un projet de rétablissement de la schola : huit garçons sont reçus par concours, le 19 juin 1806. Le Cardinal Cambacérès, archevêque de Rouen, rétablit la Maîtrise par une ordonnance du 23 octobre 1809, sous la direction de Pierre-Antoine Poidevin.
L’incendie de la flèche, frappée par la foudre le 15 septembre 1822, désorganise l’office canonial. Il est transporté dans l’abbatiale Saint-Ouen, devenue Eglise-Cathédrale provisoire du 17 septembre 1822 au 28 juin 1823. Malgré cela, la Maîtrise devait connaître un certain essor qui fut malheureusement de courte durée. En 1830, les ressources de la Fabrique ne permettent plus de soutenir l’établissement. Le Cardinal-prince de Croy prit à sa charge l’entretien de la Maîtrise, ne laissant à la Fabrique que le soin du matériel.
LA RENOVATION DE MGR BLANQUART DE BAILLEUL
Jusqu’à l’accession au siège archiépiscopal de Mgr Blanquart de Bailleul, le 1er août 1844, la vie musicale de la Cathédrale n’offre pas de faits très remarquables, à l’exception de la cérémonie de la translation du cœur de Boieldieu, le 30 novembre 1834. Le 13 août 1846, Mgr de Bailleul fait part de ses projets de réorganisation de la Maîtrise au conseil de Fabrique. Le nombre des enfants admis sera porté à vingt au minimum. La formation d’un fonds sérieux de bibliothèque musicale, l’acquisition d’un orgue d’accompagnement font partie des besoins immédiats.
La Maîtrise chante au jubé jusqu’en 1884 (date de sa suppression) dans les occasions solennelles, mais on se plaint de la mauvaise acoustique. Les textes ne sont guère précis en ce qui concerne les choristes adultes, recrutés par concours et rémunérés. Le registre de Fabrique de 1864 mentionne six chantres, quatre ténors, un baryton, un contrebassiste, deux organistes. Les enfants fixaient plus particulièrement l’attention des fidèles.
Vingt-deux jeunes garçons entrent à la Maîtrise en octobre 1846 ; ils sont vingt-six en 1851. Deux professeurs, l’un pour l’orgue, l’autre pour le chant, l’organiste du chœur Aloys Klein et le maître de chapelle Charles Vervoitte sont attachés à l’établissement. La direction de l’école rénovée est confiée à l’abbé Langlois, professeur au petit séminaire. L’intention des responsables est de pousser l’instruction musicale assez loin pour ouvrir aux élèves, qui auront des dispositions suffisantes, la carrière de l’enseignement.
L’école s’ouvrit dans les locaux d’un immeuble de la cour d’Albane, aliéné pendant la Révolution, racheté puis légué par le chanoine Qiefdeville de Belmesnil, grand chantre et intendant de la Cathédrale, au conseil de Fabrique, le 12 août 1805. Venant de Boulogne sur Mer, Charles Vervoitte se familiarise avec le chant liturgique du diocèse de Rouen et établit un nouveau répertoire. Selon un modèle imité de Notre-Dame de Paris, le budget de la Maîtrise de Rouen -20 à 22 000 francs – se répartissait de la façon suivante : 13 à 15 000 francs versés par la Fabrique, 1 000 francs à la charge du Grand Séminaire, les parents versant 450 francs de pension annuelle par enfants.
Les offices et les fêtes solennelles dans la Cathédrale retrouvent un lustre perdu depuis plus de cinquante années. Les résultats sont jugés satisfaisants à un point « qu’on peut dire qu’il n’y a guère d’église où l’on rencontre une exécution aussi parfaite » (Journal de Rouen, 1er et 2 avril 1850), note Méreaux après la première audition de sa messe en Mi bémol. Certes, les ressources vocales sont encore restreintes, juge le même chroniqueur après l’audition de la messe solennelle de Vervoitte, le jour de Noël 1853.
Tous les ans, à partir de 1849, à l’occasion de la distribution des prix de la Maîtrise, des séances musicales se déroulent dans la salle des Etats de l’Archevêché. Au cours de ces exercices d’élèves, les enfants déchiffrent des morceaux à premières vue « avec un aplomb et une surprenante sûreté d’intonation et de rythme, et cela sans accompagnement » (Revue de Rouen, 1849). La Maîtrise révèle également aux rouennais des partitions anciennes, religieuses ou profanes de Vittoria, Marcello, Jomelli, Haydn, Mozart, Beethoven, Carissimi, Rameau, Haendel, et jusqu’à la « Bataille de Marignan » de Janequin. Tout le monde se félicite des services rendus par l’institution qui fournit, notamment, des organistes aux principales localités du département. Mgr de Bailleul envisage d’étendre cet enseignement en créant un véritable Conservatoire de musique religieuse et classique. Ce projet a été écrit en entier de la main même de l’Archevêque, précisent les abbés Collette et Bourdon dans leur magistrale « Histoire de la Maîtrise de Rouen » publiée chez Cagniard en 1892 (le texte intégral est cité p.212).
Des divergences d’opinion avec le clergé au sujet du retour à la liturgie romaine conduisirent Charles Vervoitte à démissionner de sa charge (1859). Il poursuivra son activité à Paris (Saint-Roch, puis Notre-Dame).
Ce départ plaçait la Maîtrise dans une situation délicate, et il faudra attendre plusieurs années avant que cet établissement musical et religieux retrouve sa splendeur, multipliée par la vitalité et la foi d’un prêtre-musicien d’exception : l’abbé, puis chanoine Bourdon.
L’AGE D’OR DE LA MAITRISE (1881 – 1914)
Nommé Maître de chapelle et directeur de la Maîtrise par Mgr Bonnechose, le 18 juillet 1881, l’abbé Adolphe Bourdon vicaire à Neufchâtel-en-Bray, entre en fonction au mois d’octobre suivant. La situation musicale est peu engageante : plusieurs chantres ont laissé leur emploi, les orgues sont délabrés et Aloys Klein jeune a dû démissionner de son poste de professeur à la Maîtrise et d’organiste titulaire. Le chanoine Robert, Intendant de la Métropole, fonde un cours spécial de musique sacrée et de plain-chant pour remédier à cette pénurie grandissante de choristes. Sa mort entraîna la suppression de cet enseignement.
Grâce à l’abbé Bourdon, la Maîtrise qui comptait vingt quatre enfants et chantres en 1881, arrive progressivement à la quarantaine, en quelques années. L’abbé les choisissait lui-même et en faisait une élite. En 1892, l’enseignement est bien structuré, avec des cours de chant dispensés par le maître de chapelle, de piano, d’orgue, de plain chant (Emilien Ledru), de violon (E. Bleuset), de violoncelle (Crétini), d’harmonie et de composition (Frédéric Le Rey), de piano, d’orgue, de solfège, d’accompagnement et d’harmonie (Jules Haelling, ancien maîtrisien qui se révélera un professeur remarquable).
En 1885, Mgr Thomas avait mis à la disposition de la Maîtrise le bâtiment -certes délabré – de l’ancienne officialité, mais des travaux de restauration, commencés seulement en 1897, rajeunissent ce lieu chargé d’histoire. En mémoire de celui qui fut jadis un petit chanteur de cette même église métropolitaine, le Cardinal Sourrieu attribue le nom de Saint Evode à la Maîtrise. Evode, Evêque de Rouen au Vie siècle, s’était distingué de ses condisciples par ses vertus et par son chant. Au cours de la cérémonie du 28 décembre 1898, pendant laquelle les nouveaux bâtiments furent inaugurés et bénis, le Cardinal imposa le nom du saint et montra « qu’une Cathédrale ne peut pas plus vivre sans ses enfants que sans ses chanoines »!
Le pontificat de Mgr Thomas (1884 -1894) est marqué par la noblesse et la splendeur de fêtes dignes d’un grand seigneur. Goûtant en artiste et en lettré l’éclat des belles cérémonies religieuses, le prélat est vite surnommé « Thomas le magnifique ». Il aime la musique et fait d’elle « une semeuse de pures résolutions, une ourdisseuse de nobles pensées, une argumentatrice » (La Semaine Religieuse, 17 mars 1894). Le cérémonial de la première entrée cardinalice de Mgr Thomas dans son Eglise-Cathédrale représente l’exemple le plus achevé des fêtes du règne. Le 9 février 1893, le Pontife entre dans la Métropole suivi de toute la hiérarchie sacerdotale. Des appels de trompettes placées dans le triforium de la lanterne et au-dessus du grand-orgue accueillent le prélat. A la tribune, un chœur chante les acclamations » Ecce sacerdos magnus « , composées par l’abbé Bourdon.
Enfin, la Maîtrise apparaît en habit de chœur d’hiver, aube longue et camail rouge. Un enfant, habillé en page de Jeanne d’Arc, se détache et interprète une mélodie rappelant le souvenir de l’héroïne. Puis c’est l’hymne » Quasi sol refulgens « , le Te Deum et le Tantum ergo accompagnant le Salut Solennel au Saint-Sacrement. De nouvelles trompettes résonnent…
Les distributions des prix connaissent le même éclat, de même que les fêtes en l’honneur de Sainte Cécile. En 1885, l’abbé Bourdon dirige des extraits de « Rédemption » de Gounod, en 1889, exceptionnellement à Saint-Godard, des passages de la Passion selon Saint Mathieu. Mais c’est Gounod lui-même qui dirige « Mors et Vita » dans la Cathédrale, le 15 décembre 1887, en présence du Nonce apostolique, Mgr Rotelli. Entre temps (6 décembre 1885), Mgr Thomas prononce le panégyrique de Jeanne d’Arc le plus retentissant, et Charles Lenepveu – enfant de Rouen -dirige son oratorio « Jeanne d’Arc » avec un immense succès qui se répercute dans toute la France. En 1893, le Requiem de Lenepveu est interprété par 200 choristes et 200 instrumentistes, à la mémoire du cardinal de Bonnechose. Il serait trop long de citer toutes les solennités de cette époque où l’élan de la Foi et celui de la musique se conjuguaient pour faire de Rouen un des pôles de la Chrétienté.
Sous le pontificat de Mgr Fuzet (1900 -1915), on se plaint d’entendre trop souvent la musique de l’abbé Bourdon. Ce dernier fait alors exécuter les partitions d’un nouveau compositeur, britannique totalement inconnu : Large-bell (c’est à dire : Bourdon !). L’évêque connut vite la ruse de son incorrigible maître de chapelle et prit le parti d’en rire…
La promulgation de la loi sur les Congrégations (7 juillet 1904 – décret du 2 janvier 1905) ne porte pas un coup trop sévère à la Maîtrise : « son caractère artistique, le but avant tout musical auquel elle tend, la sympathie qu’elle comptait dans tous les milieux, contribuèrent sans doute à la mettre à l’abri de l’orage » (Eude, Etudes Normandes, n° 65). La loi du 5 décembre 1905 consacre la séparation de l’église et de l’Etat et, le 13 décembre 1906, Mgr Fuzet reçoit une lettre du préfet de Seine-Inférieure lui enjoignant de quitter sans délai le Palais des Archevêques.
DES PERSONNALITES EXCEPTIONNELLES
ADOLPHE BOURDON (1850 -1928) JULES HAELLING (1869 -1926)
Autodidacte presque complet, l’abbé Bourdon reçut les conseils de Dom Pothier, Prieur de Saint Wandrille. La composition musicale correspondait chez lui à un besoin vital. Maître de chapelle de la Cathédrale, de 1881 à 1911, il écrivit une quarantaine d’oeuvres, appropriées aux dimensions du vastes édifice et à l’éclat particulier des grandes fêtes qui s’y déroulaient. Parmi ses compositions, on compte : Les Béatitudes (avec Le Cantique à la Vierge), pour soli, chœurs et orchestre, de nombreux motets ( Ad te levavi, Parasti, Surrexti Christus, Quem vidistis Pastores ) et surtout la Messe solennelle en l’honneur de la bienheureuse Jeanne d’Arc, pour quatre soli, chœurs mixtes, orgue, orchestre à cordes, trompettes, trombones, harpe et timbales, œuvre demandée par Mgr Fuzet et interprétée le 30 mai 1911, par la Maîtrise, la Gamme, Mélodia, les élèves de l’institution Saint-Romain, sous la direction de Jules Haelling. Complétée par un offertoire, cette messe fut redonnée lors des fêtes Jeanne d’Arc du 30 mai 1913. A cette occasion, les rouennais découvrirent également l’oratorio « Jeanne d’Arc » d’un ancien maîtrisien de Rouen, 1er Grand Prix de Rome en 1911 : Paul Paray.
Car la Maîtrise forme alors d’excellents musiciens, qui poursuivront leurs études à Paris : Henri Beaucamp, élève de Vierne et de Tournemire, successeur d’Emilien Ledru en 1904 comme professeur à la Maîtrise, futur organiste de la Cathédrale (1927 – 1937), Robert Bréard, second Grand Prix de Rome en 1923, président-fondateur de l’ordre des musiciens, Auguste Guéroult, organiste de l’abbatiale Saint-Ouen et excellent compositeur de mélodies, Louis Haut, organiste de Saint-Gervais, premier maître d’Emmanuel Bondeville (qui étudia également avec Haellling, mais en dehors de la Maîtrise), Jules Lambert, élève de la Maîtrise entre 1908 et 1915, organiste du chœur de la Cathédrale, Maurice Duruflé (1902 – 1916), l’auteur (futur) d’un « Requiem » pétri de chants grégoriens…
Jules Haelling était né à Mulhouse le 22 mai 1869. La situation des territoires annexés par l’Allemagne décide la famille à émigrer en France. Elle arrive à Rouen au cours du mois de mars 1878. L’année suivante, Jules Haelling entre à la Maîtrise où il remporte de nombreuses récompenses. A l’âge de 15 ans, l’abbé Bourdon le garde à la Maîtrise et, en janvier 1887, le fait nommer organiste du chœur de la primatiale. Grâce à l’appui de Mgr Thomas, le jeune homme peut se rendre à Paris pour se perfectionner auprès d’Alexandre Guilmant.
Lorsque Emilien Ledru quitte le grand-orgue en 1897 pour se consacrer à la maison d’édition que lui a laissé Aloys Klein aîné, Jules Haelling lui succède comme organiste titulaire. Son jeu « clair et sûr, si riche et si puissant » lui concilie « l’estime et l’admiration, souvent rétive, des connaisseurs » (journal de Rouen, 25 novembre 1926). A la Maîtrise, il a comme élève des artistes de premier plan « mettant ainsi hors de pairs la Maîtrise Saint-Evode parmi les autres Maîtrises de France » (abbé E. Maupas) : Paul Paray, Maurice Duruflé, Ludovic Panel, Henri Beaucamp (et hors Maîtrise : E. Bondeville).
Pour sa réception à l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, Le 16 décembre 1908, Jules Haelling dirige lui-même, dans la salle du Palais des Consuls, une vaste composition pour soli, chœurs et orchestre : « Elévation », dont le texte est emprunté au 3ème livre de l’Imitation de Notre-Seigneur Jésus Christ, mise en vers par Pierre Corneille. Au cours de cette même séance, la Maîtrise fait entendre des pages plus anciennes : « l’Eté », sur des paroles de l’abbé Henri Bourgeois, « l’Invocation à la Nature », sur les vers de Lamartine.
Composé pour les funérailles du cardinal Thomas, en mars 1894, le » De Profundis « , pour soli, chœurs, orgue et orchestre, est donné de nouveau dans la Cathédrale le 29 mai 1911 à l’occasion de l’inauguration du monument du grand prélat, puis le 10 mars 1912. Parmi les autres œuvres de Jules Haelling, il faut citer l’Inviolata , le Panis Angelicus , un prélude en ut dièse mineur pour orgue, une messe et la célèbre chanson des Maîtrisiens, composée sur des vers de l’abbé Bourgeois.
Dans une cité importante qui ne possède pas de véritable Ecole de musique cautionnée par l’Etat – mais où l’enseignement privé est florissant et de qualité – la Maîtrise de la Cathédrale de Rouen assume un rôle social prépondérant auprès des couches populaires et de la petite bourgeoisie. L’activité inlassable, la personnalité de l’abbé Bourdon et de l’organiste de la Métropole, les grandes auditions à la Cathédrale ou à l’extérieur (la Maîtrise participait régulièrement à des concerts dans la salle des fêtes de l’Hôtel de France), établirent la renommée de cette institution, »Parterre d’hommes en bouton, nés pour s’ouvrir à toutes les belles choses », comme l’exprimait poétiquement Mgr Prudent. Henri Beaucamp définissait avec beaucoup plus de pragmatisme le rôle essentiel de la Maîtrise : « Les parents savaient que leurs enfants y trouveraient avec l’enseignement de la musique de solides études primaires et une sérieuse éducation chrétienne ».
LA MAITRISE SAINT-EVODE DANS LE SIECLE : 1914-1977
Par Loïc VADELORGE
Allocataire Moniteur Normalien Université de Rouen
Le premier XXe siècle (1918-1956) marque pour la Maîtrise Saint-Evode le temps d’un nouvel âge d’or, bien délimité par ces deux manifestations rouennaises que sont l’exécution des Strophes en l’honneur de Jeanne d’Arc du chanoine Bourdon le 17 novembre 1918 et celle de la France au Calvaire de Marcel Dupré le 25 juin 1956, à l’occasion de la réouverture de la Cathédrale de Rouen, rendue au culte après les très longues réparations nécessitées par les bombardements de 1944. A l’heure où nombre d’écoles de « la musique divine » déclinent, victimes à la fois de la déchristianisation et du développement de l’enseignement secondaire, la Maîtrise de la Cathédrale de Rouen maintient, tard dans le siècle, son rang dans la formation et la création musicales locales. Il faudra attendre les années soixante pour que l’édifice vacille et soit finalement acculé à la fermeture provisoire en 1977. Pourtant cette Maîtrise, qui se plaît au cours de la période à rappeler son histoire pluriséculaire, ne peut prétendre survivre à l’abri de ses murs comme si de rien n’était. De la nomination du Père Bourdon (1881) au départ du Père Delestre (1977), la Maîtrise doit progressivement composer avec les exigences du siècle et abandonner certaines de ses prérogatives culturelles.
LA MAITRISE DU CHANOINE BOURDON DE 1918 à 1928
La Maîtrise de la cathédrale de Rouen apparaît dans les années vingt comme un monde clos, soudé autour de la personne de son patriarche, le Père Adolphe Bourdon. Certes celui-ci n’est plus directeur depuis 1911 . La guerre et la mobilisation du nouveau maître de chapelle, l’abbé Bénard, l’ont toutefois amené à reprendre du service. Quoique nommé supérieur de la Maîtrise en 1921, il ne cessera de s’éloigner de l’institution, progressivement rongé par la maladie. Mais de 1918 à sa mort en 1928, le chanoine Bourdon demeure bien le véritable père spirituel de Saint-Evode.
Son ombre portée se jauge tout d’abord au fonctionnement de la Maîtrise. Les deux classes, qui réunissent dans les années vingt, une quarantaine de Maîtrisiens, sont soumises à des règlements vieux d’un demi siècle, élaborés après la nomination du Père Bourdon au poste de maître de chapelle (1881). De ceux ci dérive une codification très stricte des places et des postures, des tâches et des rôles, des mots et des gestes. De l’extérieur, cette Maîtrise-là ressemblait fort à une société secrète et les mauvaises langues la comparaient à la Franc Maçonnerie. Tout y était : la hiérarchie bien sûr, mais aussi ce culte du vêtement, adapté à l’activité de l’heure (étude, sortie, office, cérémonie, communion) et porté comme un uniforme aux couleurs, blanche et rouge, de la Maîtrise ; ou encore ces processions minutieusement réglées et placées sous le signe de l’ordre et du silence. Les plus âgés des anciens élèves se rappellent encore certaines des figures rituelles associées à cette époque, tel le « petit page » assis en tailleur dans le chœur, tenant devant lui le livre des premières communions ou bien la « nourrice », ce surnom porté par l’aîné chargé d’habiller les plus petits des maîtrisiens, au réveil à six heures du matin. Pourtant ce monde fermé sur ses coutumes et parfois sévère pour ses pensionnaires, ne saurait être noirci indûment. Un souffle paternaliste animait la Maîtrise et périodiquement les chanoines de la cathédrale venaient choyer ceux qui contribuaient à leur offrir des offices de qualité. A cet égard le Supérieur de la Maîtrise, titre envié au sein du chapitre, est bien un personnage clé du monde maîtrisien. Symbole de gratifications en tous genres, il est choisi en fonction de ses capacités au mécénat ! Au cœur de ce système paternaliste on trouve encore le Père Bourdon, dont l’éloignement physique n’altère pas la qualité des liens affectifs qui l’unissent à « sa » Maîtrise et à « ses chers bambins ». Certaines de ses lettres, lues aux élèves par les nouveaux directeurs, les abbés Bourgeois (1911-1920), Bénard (1920-1923) et Mignot (1923-1931) sont même signées « papa Bourdon ».
Son œuvre musicale, qui constitue l’armature du répertoire, accentue encore son autorité sur la Maîtrise. Les années d’après guerre voient la création des dernières commandes que lui fait l’archevêché : les Strophes à Jeanne d’Arc composées initialement en 1909 pour la béatification de Jeanne d’Arc et modifiées pour une nouvelle exécution en 1918 et les Dantis Altissimi Laudes montés en octobre 1921. Mais au delà de ces créations d’envergure, il faut évoquer le quotidien de la Maîtrise et les multiples petites pièces composées spécialement pour elle et la cathédrale de Rouen.
Cette cohésion aurait pu être ébranlée par l’épreuve de la Grande guerre. Il n’en fut rien. C’est au contraire au sortir de la première guerre mondiale que la Maîtrise se dote de deux symboles qui aujourd’hui encore composent son identité : le Monument aux morts et l’insigne.
La guerre a durement éprouvé l’institution de la rue Saint-Romain : 21 morts et 34 blessés, des heures d’angoisse et de privations, un enseignement désorganisé par la mobilisation précoce de son Maître de Chapelle. Aussi, après la joie de l’Armistice, la nécessité du recueillement s’impose rapidement. Le 19 juillet 1920 on inaugure dans la cour de la Maîtrise, un bas relief en bronze érigé à la mémoire des disparus. Soixante dix ans plus tard, L’Association des anciens élèves fait toujours précéder son repas annuel de quelques minutes de recueillement devant ce véritable Monument aux morts de la Maîtrise, ponctuées de l’antienne du Requiem. Sur ce monument, trois enfants de chœur figurent l’innocence fauchée par la guerre.
Ce sont à nouveau trois maîtrisiens, cette fois symbolisés par trois rossignols, que l’on retrouve sur l’insigne adopté au début des années vingt. Choro et organo ou la Maîtrise au service de l’orgue et de l’autel, tel est le message simple proposé par ce petit écusson aux couleurs rouge et blanche. Cet insigne, porté par les quelques cent membres de la dynamique Association des anciens élèves (fondée en 1885, mais déclarée seulement en 1893, par le Père Bourdon), propagera dans la cité le nom de Saint-Evode.
Mais ce corps soudé est loin de constituer un monde replié sur lui même. Si l’on peut parler de nouvel apogée pour l’Entre-deux-guerres, c’est avant tout en fonction du rayonement de la Maîtrise Saint-Evode.
LE RAYONNEMENT DE LA MAÎTRISE DANS L’ENTRE DEUX-GUERRES
Ce rayonnement se mesure tout d’abord en amont par l’examen de l’origine des maîtrisiens. La Maîtrise étonne ici par l’étendue de son bassin de recrutement. Les Rouennais et les habitants de l’agglomération ne forment en effet qu’une minorité des effectifs. Le développement de l’internat s’impose par la présence d’élèves venus des quatre coins du département (du Tréport à Elbeuf en passant par Le Havre), voire de l’Ile de France. Bien peu d’autres écoles de musique rouennaises peuvent se flatter d’une telle renommée.
Il est vrai que l’aval vient ici nourrir l’amont. La Maîtrise de la cathédrale de Rouen irrigue en effet de ses organistes la plupart des églises du diocèse, et de ses musiciens (choristes, pianistes, violonistes) les meilleures des sociétés chorales ou symphoniques du département. La liste des célébrités serait ici trop longue à égrainer. Retenons cependant l’exemple de Maurice Lenfant élève à la Maîtrise de 1910 à 1914 et célèbre carillonneur de la cathédrale et celui de Henri Beaucamp, Organiste de cette même cathédrale de 1926 à 1937. A Rouen dans les années vingt, la plupart des orgues (Saint Sever, Saint Clément, Saint Godard, Saint Maclou, Saint Patrice, Saint-André, Saint-Vincent, Saint-Gervais,…) sont tenues par des élèves ou d’anciens élèves de la Maîtrise. Seul le grand orgue de Saint-Ouen échappe à la liste. Là officie pendant un demi siècle, un grand ami de Saint-Evode, père du plus célèbre des organistes rouennais : Albert Dupré.
La Maîtrise sait d’ailleurs entretenir elle même son image de cercle de qualité. On la voit dans l’Entre-deux-guerres, associée à la plupart des manifestations culturelles de la cité, la cathédrale occupant alors le rôle de scène de création pour l’art sacré, pendant à la création lyrique du Théâtre des Arts. La Maîtrise est ainsi placée au carrefour de l’activité musicale rouennaise, qui voit, à l’occasion des cérémonies du 11 Novembre, l’exécution sans précédent de l’intégralité des Requiem du répertoire à l’exception notable de celui de Brahms.
Le rayonnement ne s’arrête cependant pas aux portes de la cité. De nombreux anciens élèves, devenus musiciens confirmés par le Conservatoire National de Paris ou le Prix de Rome, contribuent à répandre le nom de Saint-Evode dans les sphères cultivées de la capitale, voire au delà. Après la génération des Paul Paray et des Robert Bréard (élèves à la Maîtrise avant 1914) vient celle des Georges Fayart et des Maurice Duruflé (élèves pendant la première guerre mondiale) puis celle des Ludovic Panel, André Cabourg, Albert Beaucamp ou Camille Maurane (élèves dans les années vingt) avant celle des Pierre Villette, Claude Bourgine, Bernard Flavigny (élèves des années trente) et des Michel Queval, Pierre Audiger, Dominique Geoffroy, Gérard Lecocq (élèves des années quarante). Tous, pianistes, organistes ou chanteurs pour la plupart, mais aussi compositeurs et chefs d’orchestre font la une de la presse culturelle parisienne et la fierté de la rue Saint-Romain.
De cette liste non exhaustive émerge sans conteste Paul Paray. Ancien élève fétiche de la Maîtrise, devenu compositeur et chef d’orchestre de renom international, adulé lors de chacun de ses fréquents passages à Rouen, il représente pour des générations de maîtrisiens, l’exemple d’une ascension vertigineuse débutée rue Saint-Romain. Une partie de son œuvre est logiquement associée à la Maîtrise. C’est ainsi qu’en 1931, à l’occasion des fêtes du Ve Centenaire de la mort de Jeanne d’Arc, il vient diriger sa Messe, composée déclare-t-il spécialement pour elle et pour l’occasion. Cette date de 1931, qui voit peut être l’apogée de l’activité musicale de la Maîtrise Saint-Evode marque incontestablement un tournant dans son histoire. La même année arrive aux commandes celui qui va lui donner un nouveau visage : l’abbé Robert Delestre.
LA MAITRISE DU PERE DELESTRE, APOGEE OU DECLIN ?
Celui qui prend en charge la Maîtrise au début des années trente n’est pas un inconnu de la rue Saint-Romain. Sa nomination a été dans une large mesure programmée par l’institution. Né à Déville lès Rouen en 1901, il a été formé au Petit Séminaire et éveillé à la musique par Henri Beaucamp, titulaire de l’orgue de la cathédrale, et par deux amis de la Maîtrise Saint-Evode, le compositeur Emmanuel Bondeville, élève de Jules Haelling, et l’éditeur André Haumesser. Ceux ci vont l’inciter à parfaire sa formation à la Schola Cantorum puis au Conservatoire de Paris où il suit les cours de Jean et Noël Gallon et ceux de Paul Dukas. Il est également élève de Marcel Dupré dont il retracera l’œuvre dans un ouvrage édité après la Deuxième guerre mondiale. Cette formation musicale et les liens tissés lors du séjour parisien lui permettront d’asseoir une autorité musicale incontestée pendant plus d’un demi siècle sur la Maîtrise de la cathédrale de Rouen. Car l’abbé Delestre est avant tout un musicien. Lors de sa réception en 1971 à l’Académie de Rouen, son discours portera sur « Trois musiciens rouennais, Paul Paray, Emmanuel Bondeville et Marcel Dupré ». Son œuvre est sans doute moins dense que celle de son illustre prédécesseur, mais il faut retenir plusieurs pièces pour orgue dont un Triptyque dédié à Marcel Dupré. De cette dernière œuvre, créée à Saint-Ouen en 1951 et éditée à Paris en 1953. émerge le Vexilla Régis , salué par la presse parisienne lors de son exécution à Notre Dame de Paris en avril 1954. Plus tard l’abbé Delestre composera un Tu es Petrus ainsi qu’un Cortège pour la fête Saint-Romain.
Cependant c’est à la formation plus qu’à la création qu’entend se consacrer l’abbé Delestre. Laissant à l’abbé Collignon la direction de la Maîtrise, il prend en charge son enseignement musical, secondé après 1940 par Marie-Thérèse Duthoit. La Maîtrise des années 1930-1960 devient « une ruche bourdonnante », un endroit « où l’on entend de la musique de toutes parts » selon les termes de Michel Hatay. Cette vitalité est bien perçue par l’archevêché qui sait qu’en Delestre la Maîtrise a trouvé son second Bourdon. En 1956, Mgr Martin atteste de son intérêt en érigeant à ses côtés un Institut de Musique Sacrée baptisé Jean Titelouze.
Les années 1940-1950 voient la Maîtrise retrouver ses très riches heures. Pendant la guerre, l’amitié du Père Delestre et de Marcel Dupré permet d’accueillir rue Saint-Romain, les Semaines d’Orgue, occasion de lier le musicien rouennais le plus célèbre du XXe siècle et l’institution vénérable. Cette collaboration culmine les 24 et 25 juin 1956 lors de la résurrection de la cathédrale meurtrie et du 500 e anniversaire de la réhabilitation de Jeanne d’Arc. Marcel Dupré dirige alors la Maîtrise Saint-Evode, entre autres chorales réunies, pour exécution de son oratorio la France au Calvaire. La Maîtrise semble n’avoir jamais été aussi vivante dans la vie musicale rouennaise. A ceux qui en douteraient, ses anciens assènent leur indispensable présence. A la tête des deux institutions culturelles qui voient le jour dans la ville reconstruite, le Conservatoire de Musique en 1945 et le Théâtre des Arts en 1964, on trouve trois anciens élèves de Saint-Evode : Albert Beaucamp (1928-1934), Lucien Brasseur (1921-1929) et André Cabourg (1929-1936).
Pourtant la Maîtrise du Père Delestre ne ressemble guère à celle du chanoine Bourdon. Le cérémonial qui entourait les activités dans les années vingt a été progressivement aménagé, les règlements draconiens abandonnés. Les externes sont acceptés dès la fin des années trente, préfiguration de la mixité contemporaine et la Maîtrise s’aligne peu à peu sur les pratiques de l’Ecole de Musique Municipale, brillamment dirigée par Marius Perrier. Le service est allégé, le Père Delestre refusant, à partir de 1935 de soumettre les maîtrisiens aux concerts à l’extérieur de la cathédrale. Fini le temps où la Maîtrise se produisait au Théâtre des Arts voire hors de Rouen. Même les cérémonies du 11 Novembre se dérouleront sans elle. Il faudra attendre les années cinquante pour retrouver une Maîtrise soucieuse de son image.
Derrière ces renoncements, il faut sans doute voir la nécessité pour la Maîtrise et son directeur de s’adapter aux réalités de la société de leur temps. Les parents d’élèves des années 1935-1970 supportent mal les astreintes de la rue Saint-Romain. A l’heure ou la civilisation des loisirs annonce la société de consommation, le système maîtrisien s’apparentait sans doute par trop au monachisme. En évacuant les fastes comme les rigueurs, l’abbé Delestre permettait à la Maîtrise de survivre à la crise des années trente. En 1947 la Maîtrise compte 120 élèves, soit trois fois plus qu’en 1931.
Ces aménagements ne suffisaient sans doute pas. Il fallait recréer une dynamique associative autour de la Maîtrise. Aidé par Henri Hie, critique musical au Journal de Rouen, l’abbé Delestre va s’attacher à revitaliser la vieille Association Saint-Evode, fondée par le chanoine Bourdon en 1905 pour faire face au tarissement des revenus consécutifs à la Séparation de l’Eglise et de l’Etat. De 120 membres en 1928, cette association de soutien passe à 332 membres en 1932, permettant à la Maîtrise de franchir le cap délicat de la crise économique. Le Tout Rouen s’est alors mobilisé pour sauver ce qui est présenté comme un élément du patrimoine culturel de la cité.
La Maîtrise Saint-Evode le lui rend bien qui offre en 1932 à ses bienfaiteurs un Requiem de Brahms, injoué à Rouen depuis 1905. L’affaiblissement de l’institution n’en est pas moins notable et son équilibre financier demeurera précaire.
La Maîtrise du chanoine Delestre est donc une institution paradoxale : Rayonnante par ses activités et par son souci constant d’irriguer le monde musical haut-normand, elle est fragilisée par sa situation financière qui la contraint à demeurer un corps d’élite. Les années 1950-1960 seront logiquement celles du partage. Au temps du père Bourdon, il n’existait pas ou peu de concurrence pour la formation musicale. Ce n’est plus le cas après la Seconde guerre mondiale. Les écoles de musique municipales se sont multipliées et le Conservatoire de région draine désormais l’essentiel des élèves. Signe des temps le grand orgue de la cathédrale, fief maîtrisien par excellence, passe en 1937 aux mains de Marcel Lanquetuit, élève de Marcel Dupré.
Toutefois ce partage des rôles n’a pas raison de la Maîtrise jusqu’à la césure des années soixante. Cette fois ci la crise est bien plus profonde. Elle ébranle, au delà des fondements de la société, l’Eglise et sa liturgie. Au temps de Vatican II, la Maîtrise Saint-Evode voit peser sur elle le soupçon d’anachronisme. Mgr Pailler, évêque auxiliaire de la cathédrale, pourra bien s’attacher à sauver des bribes de liturgie traditionnelle comme le Christus Vincit , cet hymne de la cathédrale de Rouen, il faut se résoudre au déclin rapide, sanctionné en juin 1977 par la fermeture de l’école maîtrisienne.
Il n’appartient pas à l’historien de porter un jugement sur l’histoire récente de la Maîtrise de la cathédrale de Rouen. Mais ce que certains ont pu vivre comme un drame en 1977 doit sans doute être nuancé au regard de l’histoire séculaire de la Maîtrise. De cette histoire on retiendra le décalage permanent entre le mythe d’une institution immuable fortifiée par la caution de la nuit des temps chrétiens et la réalité d’un corps fragile, coincé entre ses exigences de qualité et ses moyens très limités. La Maîtrise au XXe siècle est un colosse aux pieds d’argile, qui occulte derrière la stabilité de ses maîtres de musique les chanoines Bourdon (1881-1928) et Delestre (1931-1977), une existence soumise à des épreuves régulières (Séparation de 1905, Grande guerre, Crise de 29, Seconde guerre mondiale, Crise des années soixante). Le dernier épisode, fermeture et reconversion, n’est peut être que l’ultime avatar d’une suite mouvementée de péripéties, acculant une Maîtrise-Phoénix à renaître perpétuellement de ses cendres.
18 – 19 AVRIL 1944
Après une nuit de fer et de feu, 40 jeunes maîtrisions sortent indemnes de la Cathédrale horriblement mutilée.
Cette nuit du 18 au 19 Avril 1944, année de mes onze ans, était la première que je passais à la Maîtrise au retour de vacances de Pâques. Après la lecture, au cours du dîner, les conversations avaient été animées, chacun racontant ses vacances. Puis l’heure venant, la montée au dortoir et la toilette s’étaient effectuées comme à l’ordinaire. Soudain, je suis réveillé par mon voisin de dortoir, pour admirer, à ma grande stupéfaction, une féerie lumineuse inattendue.
Depuis quatre ans, nous ne connaissions que le « black-out » et nous avons perdu toute idée de ce que pouvait être un feu d’artifice. Et voilà que des centaines de fusées lumineuses, vertes, rouges, blanchâtres, descendent du ciel, en énormes grappes au milieu de fumées. De l’autre côté de la cour de récréation, la statue de Notre Dame de l’assomption, dressée au faîte de l’abside de la Cathédrale brille d’un éclat qui demeure en ma mémoire.
Mais les sirènes et les tirs de D.C.A se mettent de la partie. L’abbé Delestre, notre maître de chapelle, fait bientôt irruption dans le dortoir. Il nous demande de nous vêtir chaudement, de prendre une couverture et de le suivre. Les abbés Paray et Brisset nous accompagnent. Cette « alerte » n’est pas la première que nous connaissions et l’abri vers lequel nous allons, n’est autre que le baptistère de la Cathédrale, situé dans la tour Saint Romain aux énormes murs de pierres. Arrivés là, installés qui, dans une niche de pierre, qui, sur un banc , nous nous retrouvons en sécurité et les conteurs d’histoires reprennent leurs récits pour le plus grands plaisir des autres. Quelques habitants des alentours nous rejoignent car ce baptistère fait office d’abri public.
Au loin, nous entendons des bruits sourds de bombardement… Sur Sotteville peut-être ? Puis brutalement, la lampe qui nous éclairait s’éteint et la nuit la plus obscure nous entoure. Le bruit des bombes se rapproche. Nous abandonnons notre semi-confort pour nous rapprocher les uns des autres dans les angles de la tour. Le silence s’établit, les cœurs battent très fort.
Soudain c’est l’enfer ! le vacarme des explosions toutes proches nous assourdit. Leur souffle nous soulève de terre. Une poussière minérale envahit notre abri. L’air est irrespirable. Par les ouvertures au dessus de nos têtes, nous apercevons les flammes des incendies qui ravagent les immeubles voisins. Pour ma part je suis atteint et légèrement blessé au cuir chevelu par un petit morceau de pierre sans doute détaché de la voûte.
Pendant une accalmie et devant la difficulté qu’ils éprouvent à respirer, plusieurs se risquent à ouvrir la porte donnant sur la cour d’Albane, pensant trouver un peu d’air frais. Mais le bombardement reprend et les bombes ou torpilles explosent à quelques mètres de notre abri. Enfin un silence de mort s’installe. Nous attendons de longues minutes avant de nous redresser et de retrouver la parole. Il fait encore nuit quand nous sortons de notre abri, sans avoir imaginé un instant le spectacle qui allait s’offrir à nous.
La Cathédrale, notre Cathédrale en partie détruite, le collatéral sud éventré, et par ce trou béant, la vision fantasmagorique des incendies qui ravagent la rive gauche. A l’intérieur, les chaises sont renversées et empilées en « des formes bizarres d’animaux préhistoriques ». Et pour rejoindre la maîtrise, nous devons enjamber quantités de statues et de gravois divers.
Dans la cour de la Maîtrise, certains d’entre nous voient des ailes d’avions. Le jour venu, nous découvrirons qu’il s’agit de vitraux entiers « atterris » là par l’effet du souffle des bombes. Au réfectoire, Maria, vieille nounou des maîtrisiens, semble nous attendre… Où était elle pendant ce bombardement ?… Elle panse ceux qui en ont besoin mais aucun n’a été sérieusement atteint. Elle nous prépare des boissons chaudes !
Le jour venu des parents arrivent pour reprendre leur progéniture. La plupart d’entre nous auront quitté la maîtrise avant le soir. D’autres dont les parents habitent Rouen et dont je suis resteront jusqu’au lendemain, le temps pour ces parents dont l’appartement ou l’immeuble a été touché, de sauver l’essentiel. Durant cette journée, le réfectoire de la maîtrise accueillera les sinistrés du quartier et plusieurs d’entre nous leur apporteront de l’aide.
Belle journée de printemps que ce 19 Avril ! Mais le ciel de notre ville, tout rempli des fumées d’incendies demeure de plomb. Et Rouen, et Sotteville bien sûr, après cette nuit d’épouvanté pleurent leurs morts.
Gérard Plessy
Ancien élève de la Maîtrise Saint-Evode
LA MAÎTRISE DE 1978 à 1999
L’Ecole maîtrisienne n’est plus. Une vingtaine d’adultes dont plusieurs anciens élèves et quelques jeunes garçons assurent le chant des offices. A l’échelle de sa longue histoire, il n’y a pas si longtemps que la Maîtrise de la Cathédrale comptait « dix enfants et huit adultes ».
Mais qu’à nouveau, la voix des enfants s’élève vers les voûtes de Notre-Dame, qui plus qu’un archevêque de Rouen, successeur de Saint-Victrice et de Saint-Evode, pouvait le souhaiter ?
Dès 1978, Monseigneur Pailler choisit et nomme au poste de maître de chapelle de la Cathédrale une religieuse enseignante, que sa formation musicale et liturgique désignait pour permettre à la Maîtrise de poursuivre tout naturellement sa route et de retrouver « ses enfants ».
Poste difficile pour sœur Pierre-Marie que celui de maître de chapelle de la Cathédrale : tant de prestigieux musiciens l’ont occupé. Mais le charisme de cette religieuse est tel et l’attachement du Chapitre de la Cathédrale pour cette institution si grand, à l’égal de celui de tant de musiciens qui en sont issus que le miracle se produit.
Dès 1979, 20 enfants en aube, 20 jeunes maîtrisiens entourent l’archevêque de Rouen et chantent dans le chœur de la Cathédrale lors de la fête de la présentation de Jésus au temple.
A la rentrée de septembre 1979, une quarantaine d’enfants garçons et filles sont admis au chœur. Comme en son temps le chanoine Bourdon, le père Delestre prédécesseur de sœur Pierre Marie reste très proche en dépit de son âge. Deux fois par semaine, il est rue Saint-Romain pour initier son jeune successeur au répertoire de la Maîtrise et le conseiller au plan musical. Mademoiselle Duthoit et Madame Chalard, si longtemps professeurs, continuent d’apporter leur aide.
D’anciens élèves, musiciens compétents, sont ils consultés ? Leur appui sollicité ?… Jules Lambert, Camille Mauranne, Michel Hatay, pour ne citer qu’eux, lequel pourrait refuser son concours ?
Dès 1979, l’audition de Noël est reprise. Outre la Maîtrise, des chorales amies y prennent part. Et Christian Goubault critique musical exigeant titre dans Paris-Normandie « L’audition de Noël à la Cathédrale : une espérance ».
Précieux encouragement pour les enfants et les adultes qui les entourent ! la Maîtrise, à présent, réunit 70 choristes.
Précieux encouragement ! Car tous ces choristes « travaillent », à commencer par les enfants: cours de solfège et cours de chant, répétitions au cours desquelles chacun apprend les œuvres du répertoire. Et ce répertoire est vaste car la Maîtrise continue d’assurer chaque dimanche les chants de la liturgie.
Aujourd’hui comme hier, elle continue d’attirer à elle les collaborations dont elle a besoin. Des musiciens de grand talent, Max Pinchard et Lionel Coulon, le premier compositeur et chef d’orchestre, le second organiste titulaire du grand orgue de la Cathédrale, tous deux enseignants de leur état, veillent avec attention au devenir de la Maîtrise, et lui apportent un soutien très efficace.
La vocation « liturgique » de la Maîtrise se manifeste parfois en dehors de la Cathédrale. Dès 1979 elle est présente lors de la consécration de l’église Sainte-Jeanne d’Arc comme, plus tard, au pied du Belem pour la messe qu’y célébra Monseigneur Duval lors des « Voiles de la Liberté » en 1989.
A partir de 1987, va commencer de se développer une activité « concerts ».
Depuis 1979, l’audition de Noël s’est renouvelée chaque année, mais en 1987, une invitation arrive de Pologne. Elle vient de la Chorale de l’Académie de théologie catholique de Varsovie. Et ce sera pour la Maîtrise l’occasion de donner plusieurs concerts tant à Czestochowa et Cracovie qu’à Varsovie même. Une autre tournée aura lieu en 1991.
Du 10 au 14 novembre 1993, 45 choristes seront à Varsovie pour célébrer avec d’autres chorales venus de trois pays européens le 25ème anniversaire de la fondation de l’académie de théologie catholique.
Non loin de Rouen, l’église Saint-Etienne de Fécamp, l’abbaye du Bec-Hellouin, celle de Saint Martin de Boscherville, et de Bernay ont résonné de ses chants au cours des dernières années.
Et la Maîtrise a participé il n’y a pas si longtemps au marathon choral organisé par le Centre d’art polyphonique et aux promenades musicales de Rouen.
Plus récemment encore, la Maîtrise a enregistré deux cassettes. La seconde intitulée « Jeanne d’Arc à la Cathédrale de Rouen » est sortie en 1992. L’une et l’autre sont proposées à l’Accueil de la Cathédrale qui en assure une large diffusion.
Maîtrise au nouveau visage, vouée aux chants de la prière, elle demeure autant que par le passé un espace tout à fait exceptionnel de convivialité !
Comme les plus anciens de ses enfants ne peuvent se retrouver sans se mettre autour d’un piano et chanter, les jeunes, après le chant, partagent leurs joies et leurs peines : mariages, baptêmes, moments de détente.
Et la Maîtrise a tant grandi, qu’il devient difficile à chacun de connaître tous les autres. Un journal est donc né. Un journal qui ne peut que « chanter et rendre grâce » : il se nomme « La voix de Saint-Evode ».
« Une Maîtrise, cela coûte cher » disait le chanoine Bourdon. Cela est vrai aujourd’hui comme hier. Mais Rouen, non plus que la Cathédrale ne serait pas Rouen sans sa Maîtrise et la Ville, ainsi que les conseils du Département et de la Région veillent, eux aussi, à ce qu’elle poursuive son chemin et lui apportent une aide financière régulière.
Qui donc à Rouen, musicien ou simplement mélomane, ou bien encore ami du patrimoine si riche de la cité n’a pas un jour fait siens ces quelques mots extraits du vieux chant des maîtrisiens… « comme nous te chérissons, bonne Maîtrise » ?
Pierre Magnan
Ancien élève de la Maîtrise Saint-Evode
Extraits de la brochure publiée en 1991 par la Maîtrise St Evode.